Dessin d’un enfant-soldat de la LRA âgé de 12 ans ©Enough Project

Pierre Hazan,

Le parlement de l’Ouganda est saisi depuis 2015 d’une nouvelle loi d’amnistie pour les combattants de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Elle mettrait fin à l’ambiguïté qui existe entre la loi d’amnistie générale de 2000, aujourd’hui en vigueur, et d’autre part, la Chambre des crimes internationaux d’Ouganda.

Le débat n’est cependant pas encore tranché : faut-il mieux amnistier les auteurs de terribles exactions au nom de la recherche de la paix, ou les poursuivre pénalement en espérant hâter la réconciliation ?

Un profond dilemme. Depuis 1986, l’armée de résistance du Seigneur a kidnappé des dizaines de milliers de garçons et de filles. Elle en a fait d’impitoyables enfants-soldats, les a drogués et transformés en robots tueurs ou en esclaves sexuels. Pour affaiblir la LRA, le gouvernement ougandais avait adopté en 2000 une loi d’amnistie générale. La 2e section de la loi d’amnistie précisait :

“L’amnistie est prévue pour tout Ougandais qui à n’importe quelle période depuis le 26 janvier 1986, a été engagé dans une guerre ou une rébellion armée contre le gouvernement de la République de l’Ouganda par – une participation au combat, une participation avec les auteurs de la guerre ou d’une rébellion armée, une collaboration avec les auteurs de la guerre ou d’une rébellion armée, une collaboration de tout autre crime commis dans le cadre de la guerre ou de la rébellion armée, ou porter assistance ou aider à conduire la guerre ou la rébellion armée – pour tous ceux qui renoncent et abandonnent la guerre. »

Tollé international

Cette loi déclencha un tollé international. Elle fut dénoncée par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU comme violant le droit international. D’autant plus que le gouvernement ougandais a ratifié les statuts de la CPI et les intégra au droit interne en 2010. Or, les statuts de la CPI interdisent les amnisties pour les auteurs d’actes internationaux. La CPI juge actuellement Dominic Ongwen, l’un des cinq leaders de la LRA inculpés par la Cour de La Haye. Ongwen, qui fut lui-même kidnappé par la LRA avant de devenir l’un de ses chefs, comparaît pour répondre de 70 charges, relevant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Alors, faut-il abroger la loi d’amnistie générale de 2000, comme le demande la CPI ? Cette loi qui limitait aussi leur droit à la vérité et à des réparations pour les victimes de la LRA et favorisait les bourreaux aux dépends des victimes. Ce que dénonce l’organisation Redress, soulignant que la loi d’amnistie générale est liée à un processus de démobilisation, de désarmement et de réintégration des combattants (DDR). Du coup, terrible ironie, les enfants kidnappés, et en particulier, les filles mariées de force, furent exclues de cette loi, alors que les bourreaux se voient, eux, gratifier, outre de l’amnistie, « d’une prime à l’agression » à travers un pécule de réinsertion. Une discrimination des victimes qui ne contribue guère à la réconciliation.

D’où l’idée du gouvernement ougandais de rétrécir la loi d’amnistie en 2015, en interdisant l’amnistie pour les auteurs de crimes internationaux. Ce qui mettrait le droit ougandais en conformité avec la CPI. Autre facteur qui milite pour une amnistie plus limitée : la situation sécuritaire s’est considérablement améliorée, car les actes de violence de la LRA ont cessé depuis 2006 sur le territoire ougandais. Cette nouvelle loi d’amnistie permettrait aussi de mettre à la confusion qui prévaut depuis la création en 2008 de la Chambre des crimes internationaux. Cette Chambre juge depuis le Colonel Thomas Kwoyelo de la LRA, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Pourtant, dans le même temps, l’un de ses supérieurs, Caesar Acellam, a bénéficié de la loi d’amnistie générale de 2000, reflétant l’image d’une justice sélective.

Victimes et bourreaux

Mais les députés tardent à voter la nouvelle loi pour de bonnes raisons aussi. La loi d’amnistie de 2000 a apporté des bénéfices réels : 27.000 combattants de la LRA ont, semble-t-il, bénéficié de la loi d’amnistie (la moitié selon les chiffres officiels), un chiffre impressionnant. Les partisans de l’amnistie ajoutent que l’approche juridique n’est pas adaptée pour les combattants de la LRA, car les auteurs des pires crimes sont eux-mêmes des victimes, ainsi que l’affirme Kasper Agger de l’organisation « Enough Project » : « Des crimes horribles sont commis par la LRA, mais le fait reste que la grande majorité des rebelles ont été kidnappés à un âge très jeune et forcés de commettre des crimes. Du coup, la stricte distinction entre victimes et auteurs des crimes n’existe pas, limitant la capacité du système légal de gérer les crimes commis par la LRA. » Argument supplémentaire mis en avant par les partisans de l’amnistie : nul parmi les forces armées ougandaises n’a jamais été poursuivi par la justice, en dépit des allégations de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire dénoncées par de multiples organisations ougandaises et internationales. Last, but not least, comme l’explique Phil Clark, professeur à SOAS, à l’agence de presse IRIN : « La nouvelle loi d’amnistie peut dissuader des petits chefs et des leaders de la LRA de se rendre, préférant continuer le combat que de risquer la prison ».

Comment concilier au mieux, l’impératif de justice et de réconciliation et l’impératif de stabilité ? Peut-il y avoir une paix sans justice ? Mais la justice est-elle seulement possible ? Et quelle justice ? Autant de questions qui restent ouvertes en Ouganda.