Iwacu, Bujumbura, 14 décembre 2012

Pierre Hazan

Le Burundi s’apprête à se doter d’une Commission vérité et réconciliation

(CVR). Dans tous les pays qui ont créé de telles Commissions pour faire la

lumière sur des violations massives des droits de l’homme, il s’agit d’un

moment important, riche de potentialité pour créer une société plus stable et

plus démocratique, mais cette étape constitue aussi un moment riche de

dangers.

Les enjeux sont de taille : une Commission vérité peut permettre l’émergence

d’un récit inclusif sur les crimes commis par les différents belligérants et

contribuer à dénoncer les tentatives révisionnistes. Une Commission peut

aussi donner une juste place aux victimes qui seraient désormais pleinement

reconnues dans l’espace public. Elle peut contribuer à normaliser les relations

entre des groupes qui s’étaient affrontés dans le passé. Tout cela est capital

pour apaiser les tensions, renforcer l’unité nationale et construire une société

démocratique.

Mais les Commissions vérité ne sont pas des baguettes magiques. Elles

peuvent être aussi perverties. Au lieu d’être des instruments de réconciliation,

elles peuvent être manipulées politiquement pour écarter tel ou tel groupe ou

opposants, ou pour amnistier certains « amis ». Au Népal, certains défenseurs

des droits de l’homme préfèrent aujourd’hui qu’il n’y ait pas de CVR, plutôt

que d’en voir une qui soit le jouet des autorités en place. En Serbie, la

Commission Vérité – qui a été démantelée avant terme – visait à relativiser les

crimes commis par des soldats ou des miliciens de ce pays. Hommage du vice

à la vertu, ces institutions manipulées n’ont pas produit les résultats

escomptés par leur créateur : ni les sociétés concernées, ni les Nations unies,

ne furent dupes, mais ce fut de belles occasions qui ont été gâchées par des

intérêts politiques à court terme des pouvoirs en place.

De toute évidence, le processus de création d’une Commission vérité est un

moment décisif. Car beaucoup de points essentiels se décident qui vont

déterminer du résultat final. La question clef de l’indépendance de la

Commission, le choix des commissaires (avec ou non, des membres de la

société civile et des experts étrangers), le respect ou non des normes et des

standards internationaux, le fait de nommer ou non les auteurs des crimes, la

définition du mandat de la CVR, l’articulation entre la Commission et le

Tribunal spécial, tous deux prévus par les accords d’Arusha ainsi que par la

résolution 1606 du Conseil de sécurité de l’ONU, représentent autant

d’éléments cruciaux.

L’expérience de beaucoup de pays démontre que plus le projet de CVR est

discuté librement au sein de la société, au Parlement, avec les Nations unies et

avec d’autres partenaires intéressés, plus celle-°©‐‑ci a le potentiel de jouer un rôle

important dans le processus de reconstruction sociale. A l’inverse, si la société

civile a l’impression d’être court-°©‐‑circuitée, si les Nations unies et autres

potentiels donateurs sont mis devant le fait accompli et si les standards

internationaux en matière d’indépendance ne sont pas respectés, alors

l’exercice risque d’être vain, si ce n’est contre-°©‐‑productif.

Les développements récents au Burundi sont inquiétants. Il y a un risque réel

que la Commission n’aie que peu d’indépendance. Le projet, tel qu’il circule

inofficiellement aujourd’hui n’est pas conforme aux standards internationaux.

La création d’un futur Tribunal spécial n’est pas mentionnée. Les Nations

unies et les éventuels donateurs étrangers qui devraient financer une

institution qui pourrait coûter une quinzaine de millions de dollars

n’apprennent les derniers développements que par des fuites. Rien de cela

n’est très sain.

Mais les autorités peuvent encore modifier le projet de CVR. Il n’est pas trop

tard pour apporter des changements substantiels. Une large consultation

serait sûrement le meilleur moyen pour que une Commission vérité digne de

ce nom puisse naître et contribuer à ce que les cinquante prochaines années

du Burundi soient plus pacifiques que les cinquante années qui ont suivi son

indépendance.